Pot-Bouille

pot_bouille01Excellente adaptation

La pourriture n’est pas que bourgeoise dans Pot-Bouille. Car il faudrait se garder de croire que Zola est un précurseur d’Arlette Laguillier. La pourriture est également servile, dans le même roman (les horreurs, les racontars, les cancans que les bonnes échangent), comme elle est rurale dans La Terre, ou prolétarienne dans L’assommoirZola n’est pas un auteur qui a une vision très optimiste de la nature humaine, dans quelque classe qu’elle soit rangée…

Si l’écriture de ses romans paraît naturellement propice, par son découpage et sa scansion narratrice, à l’adaptation au cinéma, ne sont pas si nombreux les réalisateurs qui ont réussi leur affaire. Aux premiers rangs Marcel Carné pour Thérèse Raquin, René Clément pour Gervaise (L’assommoir) et même Christian-Jaque pour Nana… Mais que de ratages, comme La curée de Roger Vadim, La faute de l’abbé Mouret de Georges Franju

Et, naturellement, magnifique, ce Pot-Bouille du protéiforme Julien Duvivier, capable de se faufiler dans tous les genres et de réussir dans presque tous….

Que c’est bien ! Quel rythme ! Quels dialogues ! Quels acteurs !

Et tiens, à ce propos, imagine-t-on, aujourd’hui, dans n’importe quel film, qu’après les deux ou trois vedettes citées en première ligne (ici Danielle Darrieux, Gérard Philipe et l’alors débutante Dany Carrel) s’inscrivent dans les génériques dix noms qui, à l’époque de la réalisation, au moins, étaient notoires… Sans chercher plus loin Jane Marken, Jacques Duby, Anouk Aimée, Olivier Hussenot, Henri Vilbert, Claude Nollier, Micheline Luccioni, Judith Magre, Gabrielle Fontan, Catherine Samie, Jean Brochard, Jacques Grello, Denise Gence… Un festival !

Dans un immeuble bourgeois sublime d’opulence, de bonne conscience et d’hypocrisie à tous les étages, voici l’ascension d’Octave Mouret et la préfiguration de ce qu’il deviendra dans Au bonheur des dames. Mouret, c’est Gérard Philipe, comme toujours meilleur dans la veulerie (Monsieur Ripois, Le Rouge et le Noir) que dans la gentillesse melliflue (Fanfan la Tulipe, Les aventures de Till l’Espiègle) ou dans le mélodrame existentialiste (Les orgueilleux). Séduisant, séducteur, cynique, prodigieusement doué pour les affaires, d’un absolu mépris pour les femmes, il domine le film de la tête et des épaules….

Les femmes, donc… Tout l’immeuble de Pot-Bouille bruisse de leur frustration et de leur névrose. Hystérie nymphomane de Valérie Vabre (Micheline Luccioni) – l‘hystérie, cette maladie qui vient de l‘uterus féminin : la racine grecque est implacable !) ; frustration de Marie Pichon (Anouk Aimée), frigidité de Clotilde Duveyrier (Claude Nollier, si altière), et de Caroline Hédouin (Danielle Darrieux), veulerie de Berthe Josserand (Dany Carrel), quasi prostituée par sa mère (Jane Marken, aussi remarquable que d’habitude, c’est-à-dire excellente dans l’immonde : voir Une si jolie petite plage ou, mieux, Manèges).

Vulgarité de tous. On peut reprocher un peu à Duvivier de ne pas avoir placé sur le même plan, comme l’avait fait Zola, la laideur des maîtres, abondamment décrite, et celle des serviteurs, tout aussi immonde, hors dans l’épisode – un des plus remarquables du roman – où Berthe et Octave, éveillés trop tard découvrent, effarés, les tombereaux de vulgarité des servantes qui se répandent, au dessus d’eux, de mansarde à mansarde… Entre 1882 (écriture du roman) et 1957 (réalisation du film), le politiquement correct avait déjà sévi…

Mais le film est réalisé avec un brio extraordinaire par un auteur au sommet de son art, qui a le sens du rythme, de l’image et de l’espace. Et qui, lorsqu’il est assisté par le talent d’Henri Jeanson donne un des meilleurs films français de la décennie. Voilà que dans son pessimisme habituel, Duvivier a ajouté une belle touche d’acide à la Autant-Lara. Bravo l’artiste !

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