Trouble every day

Le goût de craie du sang.

On ne sait pas trop ce qu’il faut apprécier dans un film aussi singulier, choquant et bizarre. On se demande ce qu’il est réellement, ce qu’il apporte au cinéma ; on finit par se résoudre à apprécier ses circonvolutions sans être tout à fait dupe. D’autant plus qu’il est bien filmé, bien distribué et qu’il bénéficie d’un accompagnement musical tout à fait adapté, à la fois lourd, innocent et fatidique (je conçois parfaitement que ces trois adjectifs accolés paraissent contradictoires mais ils situent pourtant avec exactitude la recréation de l’atmosphère qui pèse sur Trouble every day). N’empêche qu’on y est assez mal à l’aise, du début à la fin et que le partis-pris de Claire Denis, la réalisatrice, d’expliquer le moins possible le déroulement de l’intrigue et le comportement des personnages ne va pas forcément dans le bon sens.

Des intrigues parallèles qui vont finalement se tutoyer et même se rejoindre. Celle du jeune couple étasunien Brown, Shane (Vincent Gallo) et June (Tricia Vessey) qui vient passer son voyage de noces à Paris, afin aussi que Shane puisse retrouver son confrère médecin Léo Semeneau Alex Descas). Un médecin qui menait des recherches sur certaines dérivations cervicales bizarres qui aboutissent à une sorte de nymphomanie sanglante. Qui les menait avec sa femme Coré (Béatrice Dalle) dont on comprend mal si elle était déjà atteinte de la maladie ou si elle l’a attrapée à la suite des travaux de son mari.

À aucun moment on n’aura une vision claire sur les drames qui surviennent, sur ceux qui vont se passer. La réalisatrice filme sans expliquer quoi que ce soit, sans mettre le moins du monde le spectateur sur une piste. Elle ne fait que montrer – et cela plutôt très bien – des personnages qui errent dans des banlieues pelées, minables, souvent ou dans les pleins centres de Paris, au Grand Hôtel Intercontinental, bel établissement de près de 500 chambres à côté de l’Opéra Garnier, nanti d’une clientèle internationale et d’un personnel foisonnant. C’est là que viennent s’établir les jeunes époux Brown. Tandis qu’à quelques encablures dans une austère maison de banlieue vit le couple Sémeneau et son lourd secret.

Car Coré/Dalle, saisie par des crises périodiques ne vit que pour une chose : échapper à la claustration absolue que lui impose son mari/Descas afin d’aller racoler dans les parages des hommes à qui elle se donnera avant de les, littéralement, les dévorer dans une abjection sanguinolente.

Il y a beaucoup de sang dans Trouble every day et quelques scènes dont la violence, la rugosité et l’horreur vont vraiment assez loin, même pour un amateur rompu au cinéma gore comme je le suis. On saisit assez bien tout de suite la pesanteur fatidique du couple Sémeneau ; on voit moins bien ce que vient faire le couple Brown. Et, à dire vrai, on ne comprendra jamais vraiment, jusqu’au bout, ce qui les rapproche, sinon que Brown a jadis travaillé avec Sémeneau et qu’il a été plein de désir pour Coré. Ne pas, donc, attacher beaucoup d’importance au scénario, plutôt médiocre.

Mais voir dans la façon de filmer de Claire Denis un véritable auteur. Je dis cela alors que je la connais mal, n’ayant vu d’elle auparavant que Beau travail, au scénario aussi insuffisant, mais à la qualité filmique aussi incontestable. N’empêche que lorsque vous voyez, au fil des images, arriver des séquences belles, ou inquiétantes, ou dérangeantes, ou malsaines, mais en tous cas impressionnantes, vous vous dites que vous n’avez pas perdu votre soirée.

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