Une java

Ensorcelle modérément 

Resterait-il encore quoi que ce soit de ce film si la grande Fréhel n’y goualait,  avec l’extraordinaire présence qu’on lui connaît, La java bleue de Vincent Scotto ? Fréhel, dont la vie est en soi seule un mélodrame, Fréhel qui fut une ravissante gaupette, qui se noya dans la drogue et l’alcool, rebondit, éblouit ses auditoires mais finit par mourir seule dans un hôtel de passe en 1951. Fréhel qui passait si bien au cinéma, qui marque de sa présence une des plus fortes séquences de Pépé le Moko, lorsque, alourdie, déformée, tragique et profondément émouvante, elle chante Où sont-ils donc ? dans les méandres de la casbah d’Alger… On aurait tort, pourtant, de confiner le film de Claude Orval à cette rengaine inusable, à ce qui est bien davantage une valse qu’une java, au demeurant, mais que tout le monde peut chantonner ; on a raison d’y voir un rôle assez marquant d’Aimos, habituellement confiné aux quasi silhouettes. Là, dans un second rôle assez consistant où il n’interprète pas, pour une fois un bon zigue peu regardant avec la loi mais fondamentalement brave type, mais un salopard sans scrupule, il est assez convaincant. Et – malheureusement pour son image, mais heureusement pour la vérité historique – il rejoint la légende de l’acteur tué sur les barricades, en août 1944, victime d’un règlement de comptes et à qui l’on prêtait de solides intérêts dans nombre de maisons de passe et d’abattage.

Il y a aussi, qui n’est pas négligeable, Berval, si excellent quelques années auparavant dans l’assez surprenant et plutôt remarquable Justin de Marseille de Jacques Tourneur, acteur qui interprète assez bien une denrée devenue rare (et qui peut-être n’a jamais vraiment existé) : le mauvais garçon honnête, le voyou chevaleresque, toujours susceptible d’entamer une rédemption qui ne lui sera d’ailleurs pas refusée. Dans Une java, il est Yann, ainsi injustement condamné pour un meurtre de policier qu’il n’a pas commis, mais que son mauvais casier judiciaire lui a fait retomber sur le dos. D’autant que sa maîtresse, la détestable Gaby (Mila Parély), amoureuse du véritable assassin, Armando (Armand Larcher), l’a chargé au maximum.

Malgré toute la sympathie qu’on peut ressentir pour un bon petit film sans prétention, mais assez rondement mené, il faut tout de même dire que le scénario n’est pas de ceux qui vous entraînent dans les plus grandes hauteurs : le pas si méchant que ça Yann/Berval a la chance d’être le frère chéri d’une très gentille fille, Rose (France Marion), qui est quelque chose comme la secrétaire de Méry Cerval (Mireille Perrey), aussi talentueuse et célèbre que généreuse et ouverte. Car Méry est une grande vedette de variétés, une meneuse de revue de music-hall, ce qui permet de montrer à l’écran quelques tableaux de girls amènes, souriantes, froufroutantes et même un peu déshabillées. Afin d’élargir son répertoire, Méry se rend avec ses assistants dans un bouge, une guinguette (dirigée précisément par Fréhel) pour s’imbiber de l’atmosphère des lieux et danser une java crédible lors de son prochain spectacle. Se trouvent réunis là, comme par hasard, les autres protagonistes. Beau joueur, Yann défend Méry contre les crapoteuses entreprises de Frédo (Aimos) et de son copain le Tordu (Pierre Stephen), au demeurant complices et hommes-liges de l’abominable Armando.

On n’a pas besoin d’être grand clerc pour deviner la fin et l’hyménée promis au mauvais garçon qui s’achète une conduite et dont la condamnation pour meurtre sera révisée après que le véritable coupable aura été appréhendé. À sa sortie de la prison de la Santé, il sera accueilli par – devinez qui ? – Méry Cerval qui a été sensible à son courage et à son honnêteté. Tout cela est bien sympathique.

Sympathique, mais néanmoins un peu niais et sans grand intérêt autre que de présenter un Montmartre de guincheurs et guincheuses et de mauvais garçons au gosier en forte pente et à la bagarre facile. On ne se cassait pas la nénette, comme on disait alors, pour présenter au brave public un monde qui lui ressemblait bien.

 

Leave a Reply