Vive le Tour

Clin d’œil à l’éternité.

6/6 à un film de documentaire de 18 minutes ? Ça va pas la tête ?

Et si, ça va très bien, en tout cas si on considère que le Tour de France, c’est un peu comme le défilé du 14 Juillet, un truc qui façonne profondément la mémoire de notre pays, même si on ne s’intéresse pas beaucoup au cyclisme, et même si on apprécie modérément la musique militaire ; on peut ne pas comprendre, si l’on n’est pas imprégné de la substance de ce pays, ce qui n’est en aucun cas un jugement de valeur, mais une simple observation (mais faudrait pas la ramener ensuite en se présentant au suffrage) …

Cela dit, on peut être fasciné par le Tour même si l’on n’est pas Français, et nous sommes quelques uns qui aimons échanger sur les admirables talents d’Eddy Merckx et de Jacques Anquetil et qui auraient sûrement beaucoup à dire sur ce bijou de Louis Malle, lorsqu’il filme le Tour de 1962.

Qu’on n’aille pas croire qu’il s’agit d’un reportage sportif ; à aucun moment on ne donne les noms des protagonistes, et il faut les avoir admirés pour reconnaître, au hasard des images, Anquetil, Poulidor, Bahamontès, Ercole Baldini, Henry Anglade, Jean Graczyck et bien d’autres…

Vive le Tour, c’est beaucoup mieux que ça : ce sont dix-huit minutes magnifiquement filmées, narquoises, chaleureuses, tendres, cocasses, bouleversantes, selon que l’on voit à l’image les spectateurs (que de prêtres en soutane et de religieuses en habit !), les journalistes (et les salles de presse qui bourdonnent d’articles au ton guerrier et à la verve héroïque) et surtout les coureurs, qui raflent, lors des canicules, tout ce qui peut leur paraître frais, mais aussi chutent, se martyrisent sur leurs vélos, se dopent et errent comme des moutons lourds sur des routes gluantes de soleil, et vivent leur passion en offrant à qui les regarde le spectacle ultime de la souffrance et de l’épuisement.

Délicieuse plongée dans le temps que Vive le Tour ; des dégaines, des trognes, des physionomies ; des motards qui roulent sans la moindre protection, sans le moindre casque, des villages paisibles… Et puis la prise de conscience que notre société éminemment morale a proscrit des tas de trucs : il suffit de regarder le maillot des équipes pour constater la prégnance des alcooliers : la Vertu d’aujourd’hui a fait disparaître non seulement le Superprestige Pernod, qui récompensait le meilleur cycliste de l’année, mais aussi les équipes Pelforth ou Wiel’s groene leeuwe (bières), Margnat (vin de table), Saint Raphaël ou Carpano (apéritifs) ; le temps où l’on considérait que boire un coup n’était pas une attaque en règle contre la morale dominante – de plus en plus totalitaire – apparaît de plus en plus comme une survivance ethnographique…

Mais le Tour est éternel !


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