C’est arrivé près de chez vous

« Avec un ciel si bas qu’il faut lui pardonner… »

Est-ce qu’il est tellement étonnant que Rémy Belvaux, principal auteur et réalisateur de C’est arrivé près de chez vous se soit suicidé en 2006, à l’âge de 39 ans en se jetant sous un train ? Est-ce qu’il est tellement étonnant que ce film vienne de Belgique, un des pays majeurs de l’étrangeté, si loin, si proche de la France ? Est-ce qu’il est tellement étonnant que le Plat pays ait donné au monde de grands artistes singuliers, inquiets, souvent inquiétants, toujours décalés ? Georges Rodenbach (Bruges-la-Morte), Michel de GhelderodeJean Ray en littérature, René Magritte, Paul Delvaux en peinture, André DelvauxHarry Kümel au cinéma… ou même Jacques Brel… Le ciel gris, la mer grise, le vent, les canaux, tout cela perpétuellement vécu met tellement de fantastique dans l’existence…

Il est peu douteux que l’affaire des Tueurs fous du Brabant qui, entre 1982 et 1985 ravagèrent la Belgique avant d’interrompre brusquement leur action, a inspiré Belvaux : 28 morts, dont des enfants, des victimes torturées, des casse de gagne-petit (moins de 200 000 € en tout), une sorte d’hystérie criminelle si incompréhensible que, 30 ans plus tard on s’interroge encore sur la réalité des motivations des assassins. Couplons cela avec le suc de la délicieuse série documentaire télévisée belge Strip tease de Jean Libon et de Marco Lamensch et nous avons C’est arrivé près de chez vous.

Cela dit, le film aurait-il dépassé le stade de l’excellent devoir de fin d’études, qu’il était à l’origine, sans la géniale présence dévastatrice de Benoît Poelvoorde dont c’était là le premier long métrage ? Sans lui, sans sa fantastique capacité d’empathie, il y aurait une outrance malsaine, souvent même absolument répugnante (la scène à l’hôpital avec le patient incontinent) ; mais – c’est sans doute là le propre des grands acteurs – il parvient à surpasser le dégoût qu’on peut ressentir, quelquefois bien légitimement ; je recommande par exemple la scène de beuverie avec ce breuvage inventé du Petit Grégory, évidente allusion à l’affaire de Lépanges sur Vologne : une larme de gin, une rivière de tonic et la petite victime, une olive attachée à un morceau de sucre par une ficelle, sucre qui va se dissoudre plus ou moins vite, libérant l’olive qui désignera celui qui paiera la tournée… Il faut tout de même avoir du culot pour filmer ça et trouver un acteur qui accepte de porter ce qui peut passer pour une ignominie. Même observation pour le meurtre de l’enfant ou le viol qui se termine en boucherie sanguinolente.

Le défaut du film est sa longueur relative : 95 minutes pour un sujet et une frénésie pareils, c’est trop long et ça finit par devenir répétitif ; les meilleures tranches de vie de Strip tease occupent un quart d’heure, ou à peine davantage ; le devoir de fin d’études de Rémy Belvaux atteignait 50 minutes mais a été gonflé pour atteindre la réglementaire heure et demie nécessaire pour la sortie en salles. Moi, je veux bien, mais ça se sent.

 

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