Holy Lola

Lorsque l’enfant paraît…

Je ne connais évidemment pas plus que ça la vie privée de Bertrand Tavernier, mais il n’est pas besoin de lire les pages documentées de Première ou de Gala pour savoir que le réalisateur de Coup de torchon est le papa de Tiffany Tavernier qui, avec son mari d’alors, Dominique Sampiero a écrit le scénario de Holy Lola. Il ne m’étonnerait pas du tout que le film doive tout à une expérience autobiographique du couple, parti mendier au Cambodge l’adoption d’un bébé. Tout cela parce que le film est constellé de petits faits vrais qui paraissent être la retranscription fidèle d’expériences, de souvenirs, d’anecdotes vécus et qu’on ne voulait à aucun prix laisser perdre. Ce qui n’est pas, au demeurant, absolument illégitime.

Le parcours de l’adoption exotique est parcouru chaque année par des milliers de couples occidentaux. Paradoxe éclairant de notre époque, à l’heure où la maîtrise de la fécondité naturelle semble parfaitement rodée, par les moyens contraceptifs et l’avortement remboursé par la Sécurité sociale, des tas de gens, infertiles ou réticents à connaître les neuf mois obligés de la gestation vont chercher sous des cieux ex-soviétiques ou tropicaux une raison de vivre, une raison d’aimer, une raison de continuer leur aventure personnelle. Personne ne m’empêchera de penser qu’il y a là une anomalie angoissante.

Toujours est-il que la relation documentée, précise, nourrie d’expériences et de souvenirs qu’offre le film s’apparenterait presque à un documentaire et aurait pu, au demeurant, rester dans cette optique, tant semblent artificielles et maladroitement contées les histoires parallèles qui tentent donner un peu de substance à un constat assez froid : les pauvres braves gens qui tentent, à coup d’efforts immenses, de temps gâché et de dollars largement distribués de ramener en Occident un des multiples bébés abandonnés par les misérables Cambodgiens doivent passer par une série d’étapes plus ou moins initiatiques qui les lessivent et les essorent avec une sorte de professionnalisme cynique. Le couple aimant qui débarque à Phnom-Penh, le médecin auvergnat Pierre Ceyssac (Jacques Gamblin) et sa femme Géraldine (Isabelle Carré) a beau avoir défriché tous les sites d’information possibles et imaginables et être bien conscient que l’adoption ne sera pas un chemin de roses et de lys, il ne s’attend tout de même pas à cet éreintant parcours.

Autour de lui, dans l’hôtel où il va passer plusieurs semaines, il y a des tas de Français qui attendent, eux aussi, l’opportunité, le miracle, l’enfant qui correspond aux désirs, mais aussi le tampon, l’accord, le visa qui seront nécessaires pour qu’au bout du compte ils puissent un beau jour, presque effarés de leur chance, reprendre l’avion et se retrouver en Bretagne, en Savoie ou en Provence avec un bébé de quelques semaines ou de quelques mois à la peau bistre et aux yeux bridés qu’ils élèveront avec tout l’amour du monde.

Tout cela est à la fois bien sympathique et bien maladroit. On ne peut qu’espérer le succès des démarches administratives incroyablement compliquée des adoptants, au bout des trafics, des escroqueries, des bakchichs sollicités cauteleusement ou cyniquement, au bout des découragements, des disputes, des tensions. Et tout cela dans un pays qui porte encore – et pour des décennies sûrement encore – la brûlure du pire génocide de l’ère moderne, celui des Khmers rouges qui ont laissé un pays hébété, corrompu, effondré.

Gentil film un peu languissant, plutôt brouillon, tourné sous l’effroyable climat de torpeur tropicale de l’Asie du sud-est, au milieu des averses chaudes et dans la boue. Mais on se demande tout de même où est passé le Tavernier de Que la fête commence.

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