Jeunes filles en uniforme

Troubles en eau profonde.

Une pièce de théâtre d’une certaine Christa Winsloe, hongroise, lesbienne, assassinée pour espionnage d’une façon assez trouble et mystérieuse par des résistants en 1944 a donné lieu à trois adaptations au cinéma, sans doute parce que le climat étouffant et équivoque d’un pensionnat rigide de jeunes filles dans la Prusse militariste de 1910 excitait des tas de fantasmes. Première version en 1931 de Leontine Sagan, avec des actrices inconnues (Hertha ThieleDorothea WieckEmilia Unda). Dernière version en date, de Katherine Brooks, sous le titre de Loving Annabelle qui est une sorte (d’après ce que j’ai lu) de pamphlet homosexualiste où les ambiguïtés et les non-dits des premiers films sont explicitement montrés.

Et la deuxième version, celle que je viens de voir, de 1958, filmée par Geza von Radványi avec Romy Schneider et Liselotte Pulver. Une sorte de mélodrame à la fois niais et dramatique où des jeunes filles de bonne famille sont sévèrement élevées, à la prussienne, afin de fournir le maximum de futurs jeunes guerriers sobres, austères et combattifs à la nation allemande. Comme le dit la directrice de l’institution à une de ses collaboratrices qui lui indique que les élèves se plaignent de la minceur de repas : Ce sont les estomacs creux qui ont fait notre grandeur.

Arrive dans la pension, que la main de fer de la directrice (Therese Giehse) régente, avec l’assistance d’une reptilienne mauvaise Mlle von Racket (Blandine Ebinger), une jeune orpheline timide et gracieuse, Manuela von Meinhardis (Romy Schneider). Bien accueillie par ses condisciples, elle est d’emblée fascinée, comme toutes les autres élèves, par la personnalité d’Élisabeth von Bernburg (Liselotte Pulver), professeur bienveillant et attentif qui, tout en faisant respecter la discipline stricte du pensionnat, sait en atténuer les rigueurs avec intelligence.

Toutes les jeunes filles sont fascinées par elle et elle tente de dispenser à toutes, dans une belle égalité, son attention et sa droiture. Elle paraît n’avoir pas particulièrement de favorites, même si certaines élèves nourrissent pour elle des sentiments exaltés. Disons que la faiblesse, la timidité, le charme, la beauté de Manuela vont davantage la toucher.

À nos yeux d’aujourd’hui, l’orientation sexuelle (comme on dit) de la surveillante est claire comme de l’eau de roche. Son homosexualité est contenue, réprimée, sublimée même, si l’on veut, par le haut sentiment du devoir qu’elle entretient et par le contrôle social rigoureux de la pension. Mais il ne fait non plus de doute pour personne que dans ce gynécée où ne perce jamais la moindre figure masculine règne un climat assez trouble fait de frustration, de sentimentalisme et de désirs informulés.

Cette bulle névrotique doit bien finir par éclater : après une représentation théâtrale donnée pour l’anniversaire de la rgide directrice, Manuela, qui a abusé d’un punch trop libéralement agrémenté de rhum, proclame son amour pour Élisabeth, ce qui cause un scandale affreux. Ça manque d’aboutir par le suicide de la jeune fille, ça se limite à la démission de son institutrice. Il n’est pas inconcevable de penser que les écolières de 1910 se marieront vite avec de beaux officiers de uhlans qui se feront faucher aux Éparges ou au Chemin des Dames et qu’elles en resteront toute leur vie inconsolables.

Si la mise en scène est d’un anodin classicisme, il faut dire beaucoup de bien de l’interprétation, moins de celle de la toute jeune Romy Schneider, encore un peu mièvre, que celle de Liselotte Pulver qui sait mettre dans son jeu toutes les importantes nuances que son rôle exige. Et des seconds rôles excellents où l’on a le plaisir de reconnaître nos vieilles connaissances Paulette Dubost et Marthe Mercadier.

Un film plein de grisaille et de tristesse. Cela se situe dans le Brandebourg, en plein carcan luthérien. Ce n’est pas très loin des paysages du Ruban blanc de Michael Haneke. Pas de miracle.

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