Le bal des maudits

Krieg, gross malheur !

C’est vraiment une grosse machinerie étasunienne qui doit correspondre assez bien au gros bouquin dont elle est issue, de ces pavés qu’on apporte à la plage et qui donnent l’impression qu’on est (enfin !) devenu intelligent. Je n’ai jamais lu la moindre ligne du romancier Irwin Shaw, mais je suppose que, dans une certaine mesure, il doit correspondre à ce que sont, d’un point de vue plus documentaire, Dominique Lapierre et Larry Collins, auteurs, notamment de Paris brûle-t-il ? : des bouquins extrêmement bien documentés et rédigés pour qu’à la fin de chaque chapitre le suspense demeure entier (comme le faisaient les feuilletonistes des siècles derniers).

Époque douloureuse, destins croisés, cas de conscience, histoire d’amour attendrissante, personnages bien caractérisés, presque caricaturaux, mais à qui on s’attache aisément.

D’abord un bel Allemand, Christian Diestl (Marlon Brando), tout à la fois d’une grande rectitude morale et séducteur chéri des dames ; tiens ! voilà qui est à peu près neuf et même original dans le cours du vertueux cinéma des années 50 : Diestl est à peu près irrésistible. Dès le début du film il est à deux doigts de faire basculer la vertu de l’Américaine Margaret Freemantle (Barbara Rush) qui passe la soirée du 1er janvier 1939 en Bavière, au moment où les braves montagnards entonnent le Horst Wessel lied puis le Deutschland über alles, qui glacent la jeune fille presque fiancée, à New-York de la star du music-hall Michael Whiteacre (Dean Martin). Au début de l’Occupation, à Paris, il émerveille Françoise (Liliane Montevecchi), veuve de guerre et hostile aux Boches. Et au mitan de la guerre, il renverse en un tour de main Gretchen Hardenberg (May Britt), la femme de son capitaine qui, ô imprudence majeure !, l’a chargé d’aller remettre une jolie pièce de dentelle. Ça ne l’empêche pas d’être un personnage très positif et c’est très bien comme ça. Même dans le cinéma des vertueuses années 50, il fallait bien faire quelques concessions aux réalités.

Puis, plus pâle et moins bien dessiné, le chanteur de charme Michael Whiteacre (Dean Martin, donc), qui souffre de ses facilités, ne se décide pas à épouser sa presque fiancée Margaret, et a une trouille noire d’être incorporé et surtout de se faire déchiqueter sur les froides terres d’Europe. Qu’on se rassure : le dos au mur, il se comportera très bien devant le danger et se décidera enfin à épouser la femme qu’il aime et qui l’aime.

Davantage complexe, mais bien malheureuse est la figure de Noah Ackerman (Montgomery Clift), doux jeune Juif rêveur, aussi fait pour les dures disciplines du combat que moi pour remporter le championnat du monde de macramé, mais qui, parce qu’il est mu par l’amour (partagé) qu’il porte à Hope Plowman (Hope Lange) se révélera un type formidable et courageux.

Vous posez les trois hommes dans l’enfer de la guerre mondiale et vous avez le film. Si Michael et Noah sont amis et se retrouvent régulièrement dans le maelström des combats (petite facilité scénaristique), ils ne rencontreront jamais Christian, sauf pour l’abattre, aux derniers jours de la débâcle allemande. Tout démontre que les trois hommes auraient pu devenir d’excellents amis, si le monde n’avait pas été tel qu’il est.

C’est précisément la limite intellectuelle du film, d’un impeccable moralisme et beaucoup trop long (près de 3 heures) : il n’y a pas beaucoup de séquences où un observateur avisé n’aurait pu dire au réalisateur Edward Dmytryk de couper plus vite ; je veux dire par là que si toutes les séquences sont à peu près nécessaires à l’économie et au propos du film, elles sont presque toujours beaucoup trop longues et diluent le récit, qui en arrive à manquer singulièrement de nerf.

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