Le petit lieutenant

18452271La mort dans l’âme

À côté des mises en scène violentes et flamboyantes des policiers stars des brigades centrales (la Criminelle ou l‘Antigang), il y a des films qui posent leur regard réaliste, naturaliste sur la vie quotidienne, routinière, répétitive de policiers des unités de terrain, les Divisions de Police judiciaire, souvent noyées sous les contraintes de la procédure pénale et mobilisées pour des crimes qui occuperont, au mieux, trois lignes dans les journaux. Jamais rien de bien glorieux mais au bout du compte, pourtant, presque la même vie, presque les mêmes risques .

Un des grands intérêts du Petit lieutenant est de mêler une observation documentaire, presque entomologique des jours qui passent dans une section de la 2ème DPJ, qui est en charge du nord et de l’est de Paris et la vie brûlée du nouveau chef de cette section, de retour au service après une interruption de plusieurs mois, peut-être davantage.

2   Le commandant (on disait jadis l‘Inspecteur principal) Caroline Vaudieu (Nathalie Baye) a sans doute été un jeune espoir de la police, a perdu, quinze ou vingt ans auparavant son jeune fils d’une méningite, a bu beaucoup trop, a passé sa vie dans ses nuits, n’a plus ni mari, ni amant, ni goût de vivre. Elle s’est désintoxiquée, participe à des réunions d’alcooliques anonymes, mais on voit bien qu’elle ne croit pas à de naïfs et bienveillants discours.

sipa_00537912_000002Elle ressent pour le jeune lieutenant Antoine (Jalil Lespert) qui, après deux ou trois ans d’ennui administratif en Normandie, est venu goûter à Paris un peu plus d’action policière, une sympathie, une tendresse mi-maternelle, mi-amoureuse. Antoine est vraiment heureux d’être là, même s’il aimerait que sa jolie fiancée (Bérangère Allaux) le rejoigne. Comme il est fier, presque un gamin, de foncer dans les rues de Paris avec la sirène deux-tons de la voiture du service qu’il vient de récupérer au garage central !

18453440.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxEt il aime aussi ce boulot de recherche de délinquants petits et moyens, à base de compilation d’écoutes téléphoniques, de recueil de renseignements fugaces et incertains, d’observation de photos. Nuits de veille, fausse complicité des déjeuners en commun et des errances nocturnes, autopsies sanguinolentes à l’Institut médico-légal, crasse, puanteur, petits braquages, suicides. Vie de tous les jours.

Recherche de l’assassin d’un clodo polonais anonyme balancé à l’eau, sans doute par deux Russes ; longs recoupements, petits pas de fourmis sur des photos, des conversations téléphoniques. Au moment où ça aboutit, le drame. La mort du petit lieutenant ne laissera pas beaucoup de traces : est-ce que le policier n’a pas ce risque dans son paquetage, en macabre compagnon ?

lieutenantJ’ai rarement trouvé Nathalie Baye aussi bonne, desséchée, lasse au delà de tout, la bouche amère, inconsolable de sa vie gâchée. Je ne connaissais de Jalil Lespert que son rôle de confident de François Mitterrand/Michel Bouquet dans Le promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian ; j’ai l’impression que, depuis lors, il ne tourne que dans des films assez confidentiels : c’est assez dommage parce qu’il met fraîcheur et enthousiasme dans un film au ton grave. Et, dans les seconds rôles, Roschdy Zem et Xavier Beauvois lui-même, acteur de son propre film, touchent juste.

Il me semble en tout cas que le réalisateur, auteur ensuite du puissant et profond Des hommes et des dieux est un des rares cinéastes contemporains qui méritent d’être suivis.

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