Le tracassin ou les plaisirs de la ville

In illo tempore…

Je ne placerai pas le film au dessus de la moyenne, même si j’ai passé un assez bon moment à le regarder. . Si l’on n’est pas trop regardant sur le scénario, si l’on admet et apprécie le genre classique et un peu lourdingue de l’accumulation des catastrophes qui se succèdent, se répondent, s’entrechoquent, se multiplient et finissent par rendre la situation du héros à peu près insoluble, on s’amusera devant ce gentil petit objet cinématographique à usage des salles de deuxième rang qui existaient encore dans le paysage tranquille de la France de 1961. Quelque chose de bien reposant qui a dû remporter un bon succès public et n’être pas même cité dans les colonnes de Positif et des Cahiers du cinéma.

 Sur le coup on ne peut pas vraiment donner tort à ces monuments de la critique enquiquinante : si on en ôtait le parfum nostalgique d’un Paris à la fois permanent et disparu (je vais m’expliquer là-dessus) et le plaisir toujours grand de retrouver une kyrielle de visages connus et plus ou moins regrettés, Le tracassin ou les plaisirs de la ville n’aurait de fait pas beaucoup d’intérêt et pourrait sombrer dans l’oubli le plus profond. D’autant que Bourvil y abuse passablement de son jeu sympathique mais monochrome à base de hennissements et de grimaces interloquées. Il ne faut pas s’attendre à retrouver en lui l’acteur inspiré de La traversée de Paris, du Miroir à deux faces, des Misérables ou, évidemment, du Cercle rouge ; il exerce avec son don de sympathie évident son rôle de benêt habituel, victime de sa gentillesse et de sa malchance.

Ce qui est bien agréable, c’est d’avoir la mémoire réveillée devant un Paris encore très noirci mais que les injonctions de ravalement d’André Malraux vont bientôt nettoyer. De revoir d’invraisemblables théories de 2CV qui laissent à penser que Citroën a dû passablement mettre des sous dans la production (qui n’a pas eu le bonheur de conduire une 2CV ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre). Et surtout de se remémorer des tas de choses aujourd’hui disparues.

Par exemple Le réveil musculaire que dispensait Robert Raynaud sur les ondes radiophoniques. Ou les poubelles d’une grande sonorité que les éboueurs enlevaient au petit matin. Ou encore les vide-ordures, issue favorite des cafards pour entrer dans la maison, présentés comme un des plus merveilleux progrès qui se puissent. Et aussi la respectable institution du réveil téléphonique à qui l’on faisait aveuglement confiance. Et enfin les reprises, dessous de table que l’on payait pour récupérer un logement… Voici des choses qui vont nécessiter des gloses et explications lorsque de jeunes générations les découvriront et n’y comprendront que dalle. Naturellement je n’évoque pas les embouteillages, qui représentent la partie permanente de la vie et du charme de notre Capitale…

La merveille, aussi, c’est donc de tomber, au fil des séquences, sur des tas de visages d’acteurs qui ont eu un petit grain de notoriété ou même un peu davantage, de se donner du plaisir à les reconnaître. Vieux comédiens recrus, blanchis sous le harnais (Harry Max en irrésistible serrurier grognon, Leo Campion en Batave salace, Dominique Davray en concierge au verbe haut, Mario David, musclé moniteur de gymnastique, Rosy Varte, industrieuse restauratrice) ou rapides silhouettes happées ici et là (Maurice Garrel, agent de police, Alice Sapritch, cliente de la banque, Paul Mercey, irascible utilisateur du téléphone, Gaston Ouvrard, roquet délicieux).

Et quelques actrices de haute qualité : Yvonne Clech, languissant professeur de musique, Maria Pacôme, tornade insupportable… Et Pierrette Bruno, qui était bien charmante et qui interprète la mignonne maîtresse et future épouse de Bourvil.

On le voit, ça ne tient que par la superstructure, mais c’est plein d’entrain.

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