L’oiseau moqueur

La guerre civile.

Premier segment (ou deuxième ; la chose n’a pas grande importance), avec Chickamauga et La rivière du hibou des trois métrages d’une demi-heure qui adaptent, sous le nom de Au cœur de la vie, des récits d’Ambrose Bierce consacrés à la guerre de Sécession, voici L’oiseau moqueur. Trois récits marqués par la cruauté et le rêve, celui-ci un peu davantage inscrit dans une anecdote qui n’est pas très convaincante : un soldat nordiste qui, lors d’une nuit de garde a tiré sur une silhouette furtive et a ainsi tué le frère dont il avait jadis été séparé depuis la mort de leur mère et qui combattait dans les rangs sudistes. Ce point est un peu le pont-aux-ânes mélodramatique des guerres civiles.

Mais c’est la façon de filmer de Robert Enrico qui doit capter l’attention. Plus encore que dans La rivière du hibou, où les péripéties de l’histoire sont si excitantes et si bien graduées que leur halètement empêcheraient presque d’admirer le talent formel du réalisateur.

Reprenons le début de L’oiseau moqueur. Dans une forêt profonde où la caméra se déplace comme le ferait un animal sauvage furtif et habile, avec une souplesse presque angoissante, un soldat, sentinelle isolée, apeurée, qui ne sait sans doute rien de la situation de la bataille, qui a simplement été placé là pour tenir la position et guetter l’ennemi invisible. La nuit tombe. Formidable travail sur le son : les pépiements incessants des oiseaux, le grésillement des insectes, les branches mortes qui se brisent sous les pas, les grognements, jappements, feulements étranges des bêtes ; la lune qui brille, indifférente et blême ; les battements du cœur qui s’affole au moindre souffle, à la moindre ombre nouvelle ; un combat qui s’engage à proximité et le clairon qui bat le rappel puis qui se tait. On a rarement décrit avec aussi peu de moyens et autant de talent la peur qui rode.

Le soldat a tiré sur une silhouette qui se dérobait. Au matin, alors qu’il est félicité pour n’avoir pas abandonné son poste et qu’il se dit in petto que s’il n’a pas fui c’est parce qu’il était perdu dans l’obscurité et qu’il crevait de trouille, il se demande où a bien pu passer l’homme sur qui il a tiré. Il se met à rêver ; il retrouve les années heureuses passées dans la belle maison presque patricienne à jouer, lui William, avec son frère John qui a presque le même âge. Courses dans les champs magnifiques, jeux aux bords de la rivière claire, courses folles, bonheur d’être de petits garçons sans souci. Et dressage d’un oiseau moqueur (famille des passereaux, tribu des mimidae me dit Wikipédia) à qui les deux garçons apprennent à siffler une mélodie.

Ellipse ; autour du lit où repose leur mère morte, les familles se partagent les garçons. William et John se quittent pour ne plus se revoir. Le soldat sort de son rêve, se réveille, retourne dans le secteur de la forêt où il était cantonné la veille. Un oiseau s’envole qui siffle la mélodie jadis enseignée à l’oiseau moqueur. Sous la ramée, William découvre le corps de son frère John, confédéré, qu’il a tué. Il déserte.

J’ai trop longuement conté l’anecdote alors que je souhaitais dire bien davantage la beauté des images et de la photographie qui captent aussi bien les angoisses que les plaisirs, qui fixent en un instant le deuil de la mère et le désespoir des enfants séparés. On devrait parler plus souvent de Robert Enrico.

 

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