Conte de fin d’été
» – Eh bien, mon cher producteur, j’ai une excellente affaire à vous proposer ! Un film qui sera considéré comme l’un des deux ou trois meilleurs de son metteur en scène, lui-même bénéficiant d’une renommée durable ; ça vous intéresse ?
– Mais comment donc ! Vous savez que je suis partant pour tous les bons coups, surtout s’ils peuvent me rapporter à la fois plein de sous et une réputation d’ami des Arts et de protecteur des Créateurs ; ça se passe où, votre bijou ? Ibiza ? Saint-Barthélemy ? Tegucigalpa ? Les Maldives ? Parce que Saint-Tropez, on a déjà beaucoup vu…
– Beaucoup mieux ! Ca se passe à Clermont-Ferrand qui, vous en conviendrez sans peine, est, avec Saint-Etienne et Mulhouse une des villes les plus sexy et les plus photogéniques de France.
– Cher farceur ! Je reconnais bien là le suc de votre esprit anticonformiste ; remarquez, c’est pas idiot, Clermont-Ferrand ! Par rapport aux Maldives, ça réduit nettement les frais ; allez, va ! Marchons pour Clermont-Ferrand ; vos héros ? Je verrais bien un coureur de formule 1 et une jeune femme capitaine de gendarmerie ; ça fait choc des mondes et des cultures, ce qui fonctionne toujours bien ; non ? qu’est-ce que vous pensez ?
– Non, non ! L’homme sera un jeune ingénieur ; il y aura deux femmes, l’une un peu plus jeune, l’autre un peu plus mûre…leurs métiers n’auront pas une énorme importance…
– Drôle d’idée, mais enfin, on peut trouver de l’exotisme à ça ; et l’ingénieur, avec un bon technicolor, à Clermont-Ferrand, on peut même en faire un vulcanologue !
– Les volcans d’Auvergne sont éteints depuis quelques milliers d’années ; d’ailleurs le film sera en noir et blanc.
– Vous me la baillez belle ! Enfin, positivons…ça coûtera moins cher aussi ; naturellement, le son n’est pas en Dolby surround dernière génération ?
– Pensez-vous !
– Bon, et l’action ? Ou je me trompe, ou votre ingénieur est un serial killer qui va balancer longuement avant de tuer l’une puis l’autre femme ?
– …
– …Après les avoir violées, naturellement ! Un peu de sexe ne fait jamais de mal à un film…
– Taratata, détrompez-vous ! Il en rencontre une à la messe, où l’un et l’autre sont assidus, et il fait connaissance de l’autre grâce à un ami marxiste.
– Marsiquoi ? C’est pas un extra-terrestre qui vient de la planète Mars, tout de même ? Parce que sinon, avec les effets spéciaux, ça va coûter bonbon !
– Non, non ! Marxiste ! C’est, dans une certaine mesure, un extraterrestre aussi, mais presque semblable à nous ; il n’y aura aucune dépense supplémentaire à exposer.
– Bon, alors vos personnages ? Qu’est-ce qu’ils font ?
– Eh bien, l’ingénieur et la dame un peu plus mûre (mais à peine, et elle est ravissante) passent la nuit ensemble !
– À la bonne heure ! Farceur, va ! Vous voyez bien qu’il y avait du sexe là-dedans !
– Pas du tout : ils passent la nuit à discuter théologie !
– Théo quoi ?
– Dieu existe-t-il ? Le pari de Pascal, vous avez entendu parler ?
– C’est un jeu de hasard ?
– Si l’on veut ; en un peu plus grave…
– Vous voyez qui dans votre histoire ? Alain Delon
et Mireille Darc
, avec en plus Jeanne Moreau
?
– Pas vraiment ! Plutôt Jean-Louis Trintignant
, Marie-Christine Barrault
et Françoise Fabian
– Ah bah ! Et ça s’appellerait comment, votre calembredaine ?
– Ma nuit chez Maud
. Vous ne trouvez pas que c’est un bon titre ?
– Bof ! Et vous croyez que ça va marcher ?
– Allez savoir !