Matrix révolutions

L’abomination de la désolation.

Comment perpétuer une série rémunératrice, qui aurait presque pu devenir ce qu’on appelle aujourd’hui une franchise où l’on exploite jusqu’à l’os une idée de départ en en tirant de considérables bénéfices de marketing ? Comment faire ? Mais c’est tout simple, évidemment ! En ne faisant du deuxième segment qu’un préambule du segment terminal ! En laissant le spectateur dans l’attente agacée des conclusions, de la fin finale d’une histoire qu’on lui a montrée pendant les deux premiers volumes ! Ce n’est pas à blâmer, en soi, au demeurant et tous les feuilletonistes ont à l’envi employé le procédé, facile, mais tout à fait efficace.

À la fin du deuxième épisode, nous avions laissé nos héros, Néo (Keanu Reeves), Trinity (Carrie Anne Moss) et Morpheus (Laurence Fishburne), ainsi que quelques étoiles de moindre magnitude en plein cœur de leur lutte acharnée contre l’anonyme et omnipotente Matrice et (si j’ai bien compris, mais je n’en suis vraiment pas certain) contre l’agent Smith (Hugo Weaving), sorte d’excroissance pourrie et immaîtrisée de ladite Matrice, une sorte de voyageur solitaire (Un voyageur solitaire est un Diable écrit à juste titre le grand Montherlant).

On a deviné que le volume final serait  – ça va de soi – celui de la conclusion et que le combat titanesque à mâchoires serrées s’achèverait là et heureusement qu’il le ferait. (Au fait je ne me souviens pas d’une trilogie où les personnages sourient moins que dans Matrix et ses séquelles : tout le monde a l’air d’avoir avalé un manche à balai et ne pouvoir le rejeter).

Le problème de ces fresques prétentieuses fondées sur des procédés efficaces mais démontables par le premier quidam venu, s’il a déjà regardé deux ou trois fois dans sa vie des films intéressants, est qu’on ne peut pas reproduire à l’infini les recettes et que, lorsqu’un gargotier vous vend pour la douzième fois sa souris d’agneau ou son dos de cabillaud dans le même mois, vous n’avez qu’une envie : changer de cantine. La réelle inventivité du premier film, transposée ad libitum dans les deux suivants finit par devenir exaspérante : qui peut encore avoir une goutte d’émotion devant les interminables combats à mains nues de Néo et de Smith dont les peignées semblent ne laisser sur le visage des combattants aucune trace ? Et puis on a bien vu qu’après avoir dispensé leurs passes virtuoses de kung fu, les protagonistes ne viennent pas à bout de l’un ni de l’autre ! On a compris, on a perçu l’invincibilité absolue des deux ennemis et on a envie d’utiliser la zapette à grande allure pour sortir de ce marigot… Et malheureusement on ne voit plus guère désormais, le couple infernal du Mérovingien (Lambert Wilson) et de Perséphone (Monica Bellucci) qui valait pourtant le coup d’œil.

Dans le numéro 2, Matrix reloaded, il y avait, au moins une longue scène de bravoure sur une autoroute où les acteurs se castagnaient en sautant au milieu et au dessus des voitures et des camions lancés à vive allure ; c’était beaucoup trop long mais on avait son content de scènes acrobatiques parfaitement filmées. Et comme nous avons tous en tête le cauchemar de ce que nous pourrions être, pauvres malheureux humains, lancés dans pareilles circonstances, nous arrivions à frémir : il faut toujours un minimum d’identification aux personnages pour partager leurs émotions. Dans n°3, Matrix revolutions, la scène de bravoure – mais qui dure bien trois quarts d’heure, ce qui est une performance réelle, mais profondément ennuyeuse – se passe dans les profondeurs de la cité terrestre de Zion, attaquée par les machines.

Je défie quiconque de comprendre avec précision les différents épisodes de cette attaque, faite de brouhaha, d’explosions, de bourdonnements, et de tout le bataclan. Je sais bien que Fabrice del Dongo, dans La chartreuse de Parme ne comprend, lui aussi, que couic à ce qui se passe sur le champ de bataille de Waterloo, perdu entre charges, escarmouches et contre-charges. Mais enfin, les Wachowski ne sont pas tout à fait Stendhal et leur film n’est guère bâti que sur ces séismes visuels et sonores. Je sais aussi que les sous du producteur, si considérables qu’ils étaient, devaient être employés avec un vrai sens de la rentabilité et qu’il aurait été de mauvaise pratique de n’employer les spectaculaires pieuvres métalliques que dans trois ou quatre minutes ; là on en a son content et même sa saturation. On applaudit lorsqu’elles forment un nuage comparable à ce qu’aurait été une vertigineuse nuée de chauves-souris apparentées à notre vieux camarade Dracula, mais on a vite épuisé l’intérêt du procédé.

Que dire de la stupidité infinie du scénario, de sa nullité intellectuelle ? On est affligé pour les collégiens et les lycéens qui ont pu se laisser impressionner par ce pathos grotesque corseté dans des tirades que je n’ai pas eu le courage de relever pour en reproduire l’inanité… Disons que le film, dans ses dernières images, se montre tel qu’il est : un chromo de soleil levant sur un paysage de tours ; c’est vert, rose, violet, bleu, jaune : on croirait voir une de ces aquarelles que des ateliers chinois produisent en quantité industrielle pour être vendues place du Tertre à Montmartre à des générations de gogos satisfaits.

Bon. Jai fini la trilogie Matrix. Maintenant je vais regarder du cinéma.

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