Monsieur Ripois

Une femme pardonne tout, excepté qu’on ne veuille pas d’elle (Musset)

Je pense depuis longtemps que le jeu de Gérard Philipe, souvent outré, théâtral, ostentatoire convenait beaucoup mieux à certains rôles qu’à d’autres. Et qu’il était d’autant meilleur qu’il interprétait un personnage minable (Une si jolie petite plageLes orgueilleux) ou méprisable (Le Rouge et le NoirPot-Bouille). C’est bien ainsi qu’il est, à la fois minable et misérable dans Monsieur Ripois adapté d’un roman de Louis Hémon, l’auteur de Maria Chapdelaine par le grand René Clément, superbe cinéaste dont, bien à tort, on ne parle plus guère aujourd’hui.

André Ripois (Gérard Philipe) est une sorte de parasite puéril, insouciant, paresseux qui, après la guerre est demeuré en Angleterre, à Londres, où il occupe un très vague emploi subalterne de gratte-papier. Mais il est à peu près conscient – sans l’être tout à fait, c’est une des qualités du film – que grâce à un physique avantageux et à un charme assez enfantin qui lui permettent d’être remarqué et pris en affection pour peu qu’il s’en donne la peine, il peut exercer sur toutes les femmes une emprise vénéneuse : même méprisé par elles il n’en sera pas rejeté.

Le film est construit sur des flashbacks. Ripois, pour la séduire, conte à Patricia (Natasha Parry), la meilleure amie de sa richissime et patricienne femme, Catherine (Valérie Hobson), comment il a peu à peu gravi tous les degrés de la réussite sociale et de sa situation actuelle. Et cela au moment même où sa femme, lassée de ses continuels picorages féminins, vient de lui annoncer son intention de divorcer. En fait Ripois n’a pas mis au point une subtile stratégie tournée vers de folles ambitions : bien plutôt il s’est laissé porter, à vau l’eau, par une suite de hasards faciles, en suivant sa pente, sans s’embarrasser de scrupules, sautant d’une femme à l’autre, par lassitude pour l’ancienne, par fantaisie pour la nouvelle. Comme le dit à un moment sa femme, Catherine, à la future proie, Patricia, Si une femme ne lui cède pas, elle l’ennuie ; et elle l’ennuie encore plus en lui cédant.

Perdu dans la médiocrité de son petit emploi, il se rend compte qu’il peut séduire une sorte de dragon, son chef de bureau, Anne (Margaret Johnston), qu’il quittera au bout d’un an, excédé par sa grise mine et sa piètre cuisine ; et aussi parce qu’il a croisé dans un autobus, une fraîche jeune fille, Norah (Joan Greenwood), à qui il compte à la fois fleurette et monts et merveilles… Jusqu’à ce que l’idylle s’approchant par trop du mariage, il déménage soudain et abandonne la pauvrette à ses illusions. Mais il n’a plus un sou, il couche dehors, meurt de faim. C’est une belle-de-nuit qui le recueille, Marcelle (Germaine Montero), une Parisienne exilée à Londres qui est touchée par sa détresse et s’offre ainsi un gigolo. Ripois la quitte en lui volant 50 £ (qu’au demeurant elle lui avait promis : Ripois n’est pas un salaud : c’est un type qui a une morale élastique et s’accommode facilement des bonnes opportunités). Un peu par hasard, donnant des leçons de français en chambre, il rencontre Catherine, riche et lettrée… Nous sommes replacés au début du film…

 Ce qui est extraordinaire dans le film de René Clément, en sus de ses belles qualités techniques et des excellents dialogues de Raymond Queneau, c’est l’extraordinaire misogynie du propos. parce que si Ripois est effectivement un être d’une grande bassesse d’âme, toutes les femmes dont il s’empare (et je n’ai pas cité Diana, la voisine (Diana Decker), toujours disponible pour la bagatelle), sont prêtes à tout lui pardonner, à le chérir s’il veut bien se laisser faire : il y a, dans le côté maternel et miséricordieux de toutes celles que Ripois séduit, comme une grande faiblesse pour un être qui, de toute les façons fuit l’effort, la contrainte et l’ennui. Et l’aimant toutes, elles ne peuvent pas pour autant s’empêcher de le mépriser ; mais le méprisant ainsi, que peuvent-elles bien penser d’elles-mêmes ?

Ripois, se mettant en scène pour rattraper Patricia qui était bien prête de céder et s’enfuyait pour échapper à cette infernale séduction, chute accidentellement et se fracture des tas de choses. Sa femme, Catherine, croit qu’il s’est suicidé pour elle et en est toute amollie. Les dernières images du film la montrent, poussant son mari, paralysé à vie, dans une voiture d’infirme. Ne vous font-elles pas penser à la conclusion, presque identique, du dernier segment du Plaisir de Max Ophuls, d’après Maupassant et à la conclusion, dite par la si belle voix de Jean ServaisLe bonheur n’est pas gai ?

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