Archive for the ‘Chroniques de films’ Category

Les croulants se portent bien

vendredi, juin 21st, 2024

Jeux interdits.

Comme on n’avait pas peur des mots aux temps anciens de la prospérité, on n’appelait pas les vieillards seniors ou – pire ! – personnes âgées, euphémismes ridicules qui n’abusent personne sauf ceux qui sont dans le déni. Mais comme au début des années 60 la jeunesse commençait à avoir droit au chapitre et à s’émanciper un peu, elle s’amusait à trouver pour leurs aînés des sobriquets narquois, ironiques, jamais méchants (tout au moins dans l’esprit). Il y a eu un temps la mode des PPH (Passera pas l’Hiver) aggravé par le PPS (Passera pas la Soirée) pour les très vieux. Il y a eu surtout, souvent destiné aux parents, ce terme de Croulant qui n’est pas mal trouvé et qui dépeint assez justement l’âge où hommes et femmes abordent la pente descendante de la vie : la cinquantaine. (suite…)

Les amours d’Astrée et de Céladon

vendredi, juin 14th, 2024

Les druides ont bien du mérite.

Ne jamais oublier qu’Éric Rohmer a de tout temps été habité par la Littérature. Deux échecs au concours d’entrée à l’École Normale Supérieure (Ulm), un à l’agrégation de Lettres classiques. Se souvenir que chacun des six films de ses Comédies et proverbes (de La femme de l’aviateur – 1981 – à L’ami de mon amie –1987 -) est illustré par un aphorisme (quelquefois inventé ou détourné) issu de la plume d’un grand écrivain. Et qu’il a réalisé quatre escapades dans des adaptations littéraires. L’une est très réussie : La marquise d’O d’après Heinrich von Kleist en 1976, une autre très singulière, confondante et, à mes yeux, absolument ennuyeuse, Perceval le Gallois inspirée de Chrétien de Troyes en 1978, une autre encore, fascinante, L’Anglaise et le Duc en 2001, d’après les mémoires de Grace Elliott, maîtresse du duc d’Orléans, avec ses décors en images d’Épinal. (suite…)

Simplet

lundi, juin 10th, 2024

Trop belle pour lui.

Pendant une bonne trentaine d’années, il y a eu, dans le cinéma français, un genre bien particulier : celui de la provençalade, cousu de paysages délicieux, de chants de cigales, de bonnes doses de pastis, de répliques tonitruantes, de trognes sympathiques, d’accents qui fleuraient l’ail et l’artichaut barigoule. Mais aussi, assez souvent de grains d’amertume que sèment les amours difficiles, les filles abandonnées, les déceptions des braves gens. Si l’on se penche avec un tout petit peu d’attention sur les films de Marcel Pagnol (y compris la Trilogie de Marius, qui est moins provençale que marseillaise), on s’apercevra vite qu’il y a bien des gouttes tristes ; et qu’avec un peu de férocité, on pourrait se retrouver du côté souvent glaçant de la comédie italienne.

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Bal Cupidon

jeudi, juin 6th, 2024

L’assassin est dans l’annuaire.

Ce qu’il y a de meilleur, dans ce film de grande série tourné sans éclat et sans ennui par le fertile Marc-Gilbert Sauvajon, c’est sûrement l’atmosphère de la vie bourgeoise cossue de Cheranzy, petite ville de province quelques années après la fin de la guerre. Au fait, de la guerre il n’en est pas question une seule seconde, pas même pour évoquer des trafics, des dénonciations, des déportations. Et les seules lettres anonymes dont on parle sont écrites pour évoquer l’infidélité d’une jolie jeune femme à son vieux mari. On peut penser que la population française, en 1948, n’avait absolument aucune envie qu’on la replonge dans les histoires douteuses où chacun avait à peu près trempé et pris sa part. (suite…)

La Passion de Jeanne d’Arc

jeudi, juin 6th, 2024

La marche au supplice.

On peut se demander quel serait le film de Carl Dreyers’il avait été parlant, comme il avait paraît-il, été envisagé. Ce qui semble étonnant, car le son commençait à peine à prendre sa place dans le cinéma, mais la chose est pourtant attestée. Elle n’a pu être mise en place pour des questions de finances ou de disposition du matériel et on peut le regretter. Car ce qui empêche un peu d’élever La passion de Jeanne d’Arcau rang de grand chef-d’œuvre du cinéma, c’est précisément une sorte de manque : on s’aperçoit bien que des dialogues font défaut pour expliquer, amplifier, orienter le récit du procès. (suite…)

La lettre dans un taxi

vendredi, mai 31st, 2024

Fumée rose et grise.

Téléfilm distingué, élégant, bien élevé, du temps où la télévision avait du talent et la volonté de montrer à son public des histoires intelligentes. François Chatel, le réalisateur, présentait aux Français spectateurs de la chaîne unique (ou des deux seules chaînes) des auteurs aussi insignifiants que Théophile GautierColetteFrançoise SaganBarbey d’AurevillyMarivauxJean Anouilh. Rien que de la gnognote, n’est-ce pas, par rapport aux merveilles du rap, de Cyril Hanouna et à l’esprit subtil de la télévision poubelle. (suite…)

Le point de non-retour

jeudi, mai 30th, 2024

L’argent ne fait pas le bonheur.

On le sait bien et on n’a jamais cessé de l’écrire, John Boorman était capable de tout (je dis était parce qu’il y a belle lurette qu’il ne tourne plus).

Du meilleur, de l’exceptionnel, (Délivrance et Excalibur), du ridicule, (Zardoz), du décontenançant, (L’exorciste II), du niais décoratif, (La forêt d’émeraude).

Mais il me semble aussi que son cinéma ne laisse jamais indifférent, quelles que soient ses fissures. Cela étant, il est vrai que je n’ai pas vu ses films les plus récents, ni Hope and glory, ni Rangoon (dont on m’a dit grand bien), ni Le tailleur de Panama.

Il faudra que je répare ces failles.

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L’amour d’une femme

lundi, mai 27th, 2024

« Qui voit Ouessant voit son sang« 

Il y a, d’original, entre autres choses, dans le cinéma trop négligé de Jean Grémillon de ne pas absolument centrer ses films sur la figure exclusive du mâle ; ce n’était pas si fréquent à l’époque de ses tournages. Quand j’écris cela, je sais bien que le mâle mis en scène pouvait être – était même souvent – la victime de la vie et quelquefois de la malfaisance des femmes. C’est d’ailleurs tout à fait cela qui se passe dans Gueule d’amour, chef-d’œuvre de Grémillon où Jean Gabinsubit les malfaisances d’une garce, comme il subit les malfaisances de la vie dans Remorques (et dans une palanquée d’autres films, jusqu’à presque s’en faire une spécialité). (suite…)

Elle et Lui (1939)

mardi, mai 21st, 2024

Les rois du gnan-gnan

Ça commence très bien, de façon gaie, spirituelle, virevoltante, de l’esprit et du type des meilleures comédies américaines, avec plein de dialogues ambigus, de scènes de séduction fines et bien composées. Ça s’englue sensiblement dès le milieu, dans une trop longue séquence nunuche où les deux protagonistes vont rendre visite à une vieille dame, grand-mère du héros, dans sa belle demeure de Madère. Et ça se termine lamentablement, de façon ridicule, à la fois larmoyante et nimbée d’espérances inutiles après que l’héroïne, renversée par une voiture alors qu’elle se rendait au rendez-vous décisif, relève la tête et compte bien qu’un miracle interviendra. (suite…)

L’homme au chapeau rond

dimanche, mai 19th, 2024

L’œil était dans la tombe…

Lorsque L’éternel mari, roman noir, glaçant, abominable d’un très grand écrivain – Fédor Dostoïevski – est adapté au cinéma par un magnifique dialoguiste – Charles Spaak -, filmé avec rectitude et soin par un excellent réalisateur – Pierre Billon – assisté par un décorateur exemplaire – Georges Wakhevitch – il est normal que le film soit une grande réussite. Surtout quand il est interprété par un des plus grands acteurs du siècle dernier – Raimu, dont ce fut le dernier rôle et mourut trois mois après jour pour jour après la sortie de L’homme au chapeau rond sur les écrans – et que lui donne la réplique un autre très grand comédien, Aimé Clariond et des seconds rôles formidables (Louis SeignerJane MarkenMicheline Boudet, d’autres…). (suite…)